NOTRE IDENTITÉ, ELLE EST DEVANT NOUS
- Jean Marie Tjibaou -En septembre 1975, le festival Mélanésia 2000 initié par Jean-Marie Tjibaou et Philippe Missotte, va se révéler comme un véritable marqueur historique dans la reconnaissance de la culture kanak en Nouvelle-Calédonie. Ce festival se veut le témoin, auprès de la population calédonienne, de l’existence d’une culture kanak vivante et singulière. Il va regrouper de nombreuses délégations (2000 personnes) venues de la Grande Terre mais aussi des îles Loyauté qui, ensemble, vont produire un spectacle son et lumière autour de l’histoire de Téa Kanaké mythe d’origine de la côte Est. Cet acte culturel a été imaginé comme une main tendue en direction de ceux qui connaissaient peu ou mal la culture mélanésienne, une première pierre vers une identité en devenir. Face au succès populaire de cet événement (50 000 visiteurs pendant une semaine sur le site de Tina proche de l’actuel Centre Culturel Tjibaou) naît l’émergence de la reconnaissance de l’identité kanak dans le champ politique. Il semble alors nécessaire que la question culturelle soit prise en compte dans les accords successifs qui vont être signés à la fin de la période de troubles des “évènements” de 1984-1988. Ainsi en 1989 dans le cadre de la mise en oeuvre des Accords de Matignon-Oudinot un décret de l’Etat instituera l'Agence de développement de la culture kanak (ADCK) avec comme missions : de valoriser le patrimoine kanak, d’encourager les formes d’expression contemporaines de cette culture et de promouvoir la recherche et les échanges culturels régionaux et internationaux.
Il est dénommé Ngan Jila “ littéralement “la maison des richesses” en langue pijé de Hienghène, construit pour héberger l’ADCK, il est inauguré le 4 mai 1998 par Lionel Jospin, premier ministre français la veille de la signature de l’Accord de Nouméa. Le centre est situé à quelques encablures du lieu qui accueillait le festival Mélanésia 2000 en 1975, le bâtiment imaginé par Renzo Piano regroupe en un même lieu, un centre d’art contemporain, des salles d’expositions, différents espaces de spectacle dont un théâtre, une médiathèque spécialisée et des espaces d’accueil de classes en résidence.
Hier établissement public d’Etat, aujourd’hui le centre culturel est une institution à part entière de la Nouvelle-Calédonie. Au moment du transfert de l’établissement au territoire en 2012 ses missions originelles ont été complétées par une mission complémentaire d’importance : “Susciter l’émergence de pratiques et de références culturelles communes à la Nouvelle-Calédonie.”
Fruit d’une étroite collaboration entre l’ADCK et l’architecte Renzo Piano (prix Pritzker 1998), le centre présente une architecture contemporaine en harmonie avec la culture kanak. En effet, les cases, hautes et à l’apparence inachevées, rappellent un des caractères fondamentaux de l’architecture kanak, le “devenir”, riche de promesses pour un pays alors en reconstruction culturelle. Le bâtiment conjugue les technicités des architectures occidentales avec les savoirs-faire de la culture kanak articulant un savant mélange de technologies contemporaines et d’éléments traditionnels.
Il s’inscrit dans un écrin de verdure qui nourrit le principe architectural kanak et qui est aussi apparu comme essentiel à celui de Renzo Piano. Pour ceux qui ont imaginé ce centre, l’environnement botanique naturel du pays se devait d’être valorisé pour la portée symbolique qu’accorde la culture kanak au monde végétal. Le parc botanique du “chemin kanak” propose ainsi un parcours déambulatoire initiatique sous la canopée des espèces végétales endémiques autour du bâtiment principal du centre, où le visiteur chemine à la découverte des traditions liant l’homme à son environnement.
Transféré à la Nouvelle-Calédonie en 2012, l'ADCK-CCT reste un lieu d’affirmation identitaire et un espace de rencontre et de création culturelle. Véritable outil de médiation, passerelle intergénérationnelle et culturelle, le centre œuvre pour un partage multi ethnique, social et culturel, principe fondamental du Vivre ensemble.
Il se pense aujourd’hui comme un lieu de rencontre qui invite tout un chacun à s’offrir le temps de la (re-)connaissance et de la compréhension de l’autre.